M. Arezki CHENANE Professeur en sciences économiques:« Le protectionnisme pourrait créer des tensions sur les marchés agricoles »
- Création : 16 avril 2025

Les décisions de Donald Trump si elles seraient appliquées, induiraient, selon Arezki Chenane, professeur en économie une augmentation des prix des produits importés dans les marchés locaux. De même qu’elles entraveraient les échanges entre les pays en instaurant des barrières non tarifaires. L'on assiste depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche à la multiplication des annonces surl'imposition des droits de douane.
Agroligne : Quel serait l'impact sur les échangesdans l'agriculture et l’agroalimentaire ?
M. Arezki CHENANE : En effet, depuis déjà quelquesannées nous assistons, dans le monde, à travers, les reconfigurations qui s’opèrent dans le cadre des regroupements régionaux (MENA, UA et BRICS....) à un retour du souverainisme économique. Autrement dit, la mondialisation tant réclamée se trouve en panne de vision en raison de plusieurs facteurs notamment après la crise de la Covid 19 ainsi que la crise énergétique et des conflits d’ordre géopolitiques et géostratégiques. Cet état de fait, nous conduit au retour du protectionnisme économique qui s’est traduit par l’institution d’une hausse assez conséquente des droits de douane.
Les USA posent la problématique des échanges commerciaux dans le cadre du libre-échange en défiant même les principes fondateurs de l’OMC.
L’annonce du président Américain de relever de 10% les droits de douane sur les produits chinois, puis imposer une taxe de 25% sur l’acier et l’aluminium puis la mise en place de « droits de douane réciproques » selon le principe de la réciprocité sur l’ensemble des marchandises importées y compris les produits agricoles et agroalimentaires a été un facteur déclenchant pour le retour au protectionnisme.
Dans le même contexte, l'Union Européenne n'échapperait pas à ces mesures puisque le taux moyen des droits de douane appliqué sur les produits
américains est de 4%, tandis que les USA imposent un taux moyen de 3,5% sur les produits européens. Ce qui justifie, la décision des USA en évoquant le problème de l’iniquité dans les échanges entre les USA et l’UE.
Par conséquent, ces décisions si elles seraient appliquées, nous serons face à une augmentation des prix des produits importés dans les marchés locaux et au blocage des échanges entre les pays en instaurant même des barrières non tarifaires.
Cela pourrait créer des tensions notamment dans les produits agricoles tels que le blé, l’orge et le maïs dans le cadre de la sécurité alimentaire mondiale qui sera accentuée même par les changements climatiques dans le monde. Qu'en sera-t-il des prix des produits de base sur les marchés mondiaux ?
Nous voyons déjà la volatilité des prix des produits de base tel que le blé, le maïs et les produits énergétiques (gaz et pétrole) dans des contextes différents. De ce fait, en plus de cette complexité mondiale, l’on assiste à des ententes tacites entre pays pour exercer leurs monopoles sur les marchés des produits de base.Enfin, les changements climatiques et autre dérèglement de nature, affecteraient inévitablement les prix des produits en suivant une tendance haussière.
Quel avenir dans ce sens pour les relations commerciales multilatérales ? Ça va de soi, la mise en place des mesures décourageant les importations entre pays va remettre en cause même le principe des avantages comparatifs ; un principe justifiant l’échange international où les différents partenaires s’engageant dans les transactions, tirent profit.
C’est le principe de la spécialisation. Cette dernière doit être revue dans le cadre d’un commerce international multilatéral équitable où tous les pays pourront s’insérer dans les chaines de valeurs mondiales. A titre d’exemple, l’expérience des pays du BRICS + est une tentative pour aller vers un commerce multilatéral mais polarisé.
Les pays du BRICS+ représentent la moitié de la population mondiale et 35% du PIB mondial contre 44% des pays du G7. Nous nous acheminerons vers un monde « multi pôles » qui pourraient créer des tensions de manière à accentuer la concurrence internationale qui ne saurait générer une croissance mondiale.
Plusieurs scénarii sont envisageables mais incertains quant à l’évolution du commerce international.
Les conséquences pourraient-elles toucher l'Afrique en cas de guerre commerciale ?
Votre question nous renvoie à la veille stratégique des pays africains dans le cadre des accords de coopération déjà amorcée. Pour permettre d’aller vers
une intégration africaine, il est impératif aujourd’hui, d’intensifier les échanges intra africains. Certes, nous avons enregistré une croissance de plus de 7% en
2023 avec un volume des échanges dépassant 192 Milliards de Dollars en 2024.
A mon avis, les pays africains doivent être plus résilients pour faire face aux différents chocs de ces « guerres » commerciales dans le contexte des crises multidimensionnelles que traverse le monde.
Source : Reaction Agroligne, entretien publié dans le Magazine Agroligne N°124