La pomme de terre, l’autre enjeu après le pétrole
- Création : 10 mai 2015
Installation de commissions de régularisation, ouverture de centres de recherche, surveillance des récoltes... Depuis quelques années, des mesures ont été prises pour que l’Algérie n’ait plus à importer ses pommes de terre. Mais les lobbies du stockage, de la semence ou des chambres froides empêchent toute autosuffisance.
«L’Algérie doit faire encore beaucoup d’efforts pour assurer sa sécurité alimentaire. Le risque de crise est réel, même si les pouvoirs publics ne veulent pas l’envisager», déplore Mustapha Fassi, économiste et conférencier, et également spécialiste de la pomme de terre. «Si on observe la facture d’importation des produits alimentaires, on constate qu’elle a augmenté, alors que les revenus des hydrocarbures ont baissé. Avec quoi allons-nous payer les factures ? Visiblement, la rente pétrolière n’a pas été utilisée pour assurer une autosuffisance en produits de base et nous restons dépendants des importateurs locaux et étrangers», explique-t-il.
Début 2015, les prix des produits agricoles ont connu une hausse vertigineuse, surtout pour la courgette et la pomme de terre, une hausse expliquée selon un cadre de la filière «soit par le coût élevé de la plasticulture (serres, ndlr), soit par la mafia du stockage, ou encore la spéculation intempestive !» Selon lui, les acteurs du secteur «ne maîtrisent pas les conditions d’approvisionnement et de conservation», dit-il en soulignant que la production de pomme de terre pourrait progresser si la filière était un peu mieux organisée.
«Il y a plus d’un an, Bachir Seraoui, le président du Conseil interprofessionnel de la pomme de terre, avait pris des mesures pour parer aux insuffisances techniques du secteur. Aujourd’hui, c’est la guerre entre centres de recherche, institutions et ministère. Tous n’arrivent pas à accorder leurs violons ! Pourtant, l’objectif est le même : assurer l’autosuffisance et sortir de la dépendance. Il faut croire qu’il y a de l’argent à se faire en contrôlant le prix de la pomme de terre, précisément la semence ; on affecte directement l’économie du pays, voire de la stabilité sociale.»
Campagne
Près de 3 millions de quintaux de pomme de terre d’arrière-saison ont été récoltés dans la wilaya de Aïn Defla au titre de la campagne agricole 2014-2015, selon Amar Saâdi, responsable des statistiques à la Direction locale des services agricoles (DSA). Ce chiffre pourrait atteindre 4 millions de quintaux de pomme de terre de saison qui devraient, par ailleurs, être récoltés à l’issue de l’actuelle campagne agricole. Un objectif réalisable ? Pour les experts, cela est possible, pour peu que la problématique de la qualité de la semence de pomme de terre soit réglée.
«L’Algérie est un laboratoire pour les pays étrangers désireux d’exporter des produits agricoles. Les pouvoirs publics encouragent l’importation en créant des petits projets qui servent de tremplin aux universitaires locaux, ou aux coopérations internationales qui ne servent que la diplomatie algérienne», affirme Nadia Hamlaoui ingénieur agronome et consultante internationale pour des centres de recherche spécialisés dans la culture de la pomme de terre.
«La question qu’il faut se poser est pourquoi le prix des légumes demeure toujours aussi élevé après que le Centre national de contrôle et de certification des semences et plants (CNCC) ait lancé un programme de production de semence, et que le ministère de l’Agriculture ait créé des centres de vente ? Nous sommes passés de pays producteur à pays ‘‘prometteur’’ pour les autres pays qui ont l’intention d’exploiter le marché, comme les deux producteurs américains Parkinson et Keith Esplin.»
Semence
Alors que le ministère de l’Agriculture semble être sur tous les fronts, ce sont naturellement les directions régionales qui mènent la bataille sur le terrain. «Le premier responsable du secteur, Abdelouahab Nouri, sait que le secteur a atteint ses limites. Pourtant, on essaye de maintenir la barre du raisonnable, c’est-à-dire de produire, sans garantir une hausse de la production, ni une baisse du prix pour l’année suivante», avoue un responsable d’une des wilayas productrices de pomme de terre. Pour Saliha Saddik, ancienne enseignante à Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA) d’El Harrach, si la semence est le problème, «les racines du mal sont ailleurs», dit-elle.
«Depuis des décennies la recherche scientifique a été cantonnée dans les laboratoires universitaires, isolée de tous les secteurs de développement agricole. Nous avons perdu beaucoup de nos semences locales qui assuraient la production de fruits et légumes. Retrouver ce patrimoine est encore possible, explique-t-elle, à condition d’y mettre les moyens.» «L’investissement que devrait lancer l’Etat n’est pas seulement dans les champs de pomme de terre, mais dans les nouvelles méthodes qui allient génétique et technologie.
Il faudrait aussi que tous les partenaires du secteur travaillent sous une même structure : agriculteurs, chercheurs, spécialistes, etc.» Aujourd’hui, beaucoup de scientifiques appellent à la collecte du peu de semences qui restent pour les conserver et les améliorer dans des laboratoires sans les dénaturer. «Le mieux qui puisse arriver à nos semences, c’est la création, au niveau national ou régional, d’une institution qui les conserverait dans des laboratoires ultra modernes. Les pays voisins y songent déjà», affirme Adlène Haddadi, universitaire et expert agricole.
Mécanisation
«J’ai toujours travaillé à la main la terre, je fais ce métier depuis plus de 20 ans, j’ai entendu parler des promesses de l’Etat sur la modernisation de nos exploitations agricoles ; pour l’heure, seules quelques wilayas sont concernées», relève Mohamed Bachir, agriculteur à Blida. Pourtant, la modernisation des exploitations par la mécanisation est un des programmes développés par le ministère de l’Agriculture. «Pour permettre aux agriculteurs de produire sans peine leurs récoltes, il faut d’abord organiser des campagnes de sensibilisation sur le matériel à utiliser.
L’Etat ne peut pas investir dans des outils modernes si l’agriculteur n’arrive pas à se mettre à niveau», confie un cadre du ministère. A ce propos, le défaut de la mécanisation de la production agricole de la pomme de terre accuse une perte de 15 à 20% de la production nationale. «Sur un total de 400 000 tonnes de production par an, l’Algérie perd une moyenne de 40% de sa production en pomme de terre», constate un expert.
Désintégration des semences, manque de mécanisation, déficit de la main-d’œuvre, un autre facteur s’ajoute à la défaillance de la production : le stockage. «En Algérie, on ne maîtrise pas les techniques de stockage conditionnées par la chaîne de froid. L’Etat a autorisé la construction, grâce à des subventions, de chambres froides pour réguler la commercialisation des produits périssables. Ces chambres froides sont devenues le centre de contrôle des prix que l’on impose aux consommateurs, je ne parle même pas dans quel état sont stockés les produits agricoles !» affirme Samira Houcine, responsable dans un centre de recherche.
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