L'huile de friture, essence du futur ?

  • Création : 14 février 2006
C'est jaune, plutôt visqueux, et personne ne s'accorde sur l'odeur. 'Certains trouvent que ça sent les frites. D'autres, le pop-corn', dit Peter Bell, qui en fabrique à Austin (Texas).

Le liquide en question, du biodiesel, est un biocarburant d'origine végétale, un de ces nouveaux carburants sur lesquels les Etats-Unis comptent pour réduire un jour leur dépendance énergétique à l'égard du Proche-Orient. Inexistant il y a dix ans, il a fait son entrée dans les statistiques du ministère de l'énergie. Dénomination : "graisse jaune". Huile de cuisine. On la met dans le moteur.

 

Le phénomène a pris de l'ampleur en quelques années. Dans toute l'Amérique, des individus ont entrepris de collecter de la graisse à frites auprès des restaurants et des fast-foods pour la transformer en biocarburant.

Pour le quotidien Star Tribune de Minneapolis, ces nouveaux brocanteurs composent une "sous-culture en expansion". Ils arrivent à faire 1 000 kilomètres avec un moteur qui ne pollue pratiquement pas. Et un plein de graisse qui ne leur a rien coûté.

Le gisement de matière première n'est pas négligeable : 300 millions de gallons d'huiles usées sont produits chaque année dans les cuisines américaines, soit plus de 1 milliard de litres (1 gallon vaut 3,79 litres). "Il y a un phénomène de mode, explique Josh Tickell, un des pionniers de la discipline. Les gens ont envie de faire du biodiesel. Et l'huile de cuisine est une méthode accessible à tout le monde."

Il suffit de mélanger l'huile usée à de l'alcool (méthanol). Grâce à un kit de conversion, vendu sur Internet, on peut s'assurer que le carburant n'épaissit pas s'il fait froid. Il y a quand même un handicap : il faut posséder un véhicule diesel, et à ce titre seulement 5 % du parc automobile américain est concerné.

L'administration Bush a donné un sérieux coup de pouce au biodiesel dans son plan Energie de 2004 par un système de crédit d'impôts : de 50 cents à 1 dollar pour chaque gallon de biodiesel mélangé au diesel classique (ou pétrodiesel). Cet avantage fiscal a permis de tripler la production : 14 millions de gallons en 2003, 30 millions en 2004 et près de 75 millions en 2005. Actuellement, l'essentiel du biodiesel est fait à partir de soja, devant l'huile de cuisine. Mais on reste loin du compte. Même si on exploitait tout le gisement de graisse à frites, dit Josh Tickell, "on ne pourrait couvrir que 5 % des besoins en diesel".

Cela dit, avec la hausse du prix des carburants, le biodiesel est devenu compétitif. Il a conquis l'US Postal Service, l'armée, la marine - qui a décidé que tous les véhicules non combattants utiliseraient le biodiesel -, et les bus jaunes d'une centaine de districts scolaires. Six cents pompes à biodiesel existent déjà dans le pays. S'il y a actuellement moins de 20 producteurs (pour 84 d'éthanol), 12 nouvelles installations sont en construction.

En 2004, Willie Nelson, une légende de la musique country, s'est lancé sur le marché. Il a créé sa marque de carburant, le "Bio-Willie". Le guitariste, qui partage son temps entre Austin et Hawaï, a acheté une Mercedes diesel, et l'odeur de frites, "ou de doughnuts", comme dit son manager, le suit dans ses tournées. Le "Bio-Willie" est un mélange de 80 % de pétrodiesel et de 20 % de biodiesel fabriqué à partir d'huile de soja. En août 2005, il a été mis sur le marché dans la station essence fétiche des routiers du Texas, le Carl's Corner, au sud de Dallas, où Willie Nelson avait l'habitude de chanter. Aujourd'hui, elle sert de 30 à 40 camions par jour.

Source : Le Monde

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