Filière des épices : Les ravages de l'informel
- Création : 19 juillet 2007
Le marocain aime les plats relevés. Surtout, en saveurs et aromates. Tradition culinaire oblige ! Pour satisfaire cette «boulimie», des marchands marocains n'ont pas hésité à braver les dangers de la mer de Chine à la quête des berceaux naturels de bonnes épices. Cela remonte à des siècles déjà. Depuis lors, les choses ont évolué autrement. Néanmoins, le Maroc se place toujours en tête des consommateurs mondiaux d'épices. Etat des lieux.
Selon la Ficopam (Fédération des industries de la conserve des produits agricoles du Maroc), la consommation moyenne marocaine est de l'ordre de 22.700 tonnes/an, soit près de 700 grammes par tête d'habitant. Le chiffre d'affaires brassé, à ce titre, avoisine le milliard de dirhams. Mais demeure constitué à raison de plus de 50% par les importations. Pour satisfaire ses besoins, le Maroc importe 13.500 tonnes de divers épices et aromates. Du bon vieux temps, la couverture était limitée à des origines réputées pour la qualité de leurs produits comme la Chine, l'Inde, l'Indonésie, le Brésil ou encore le Sri-Lanka. Actuellement, d'autres pays s'ajoutent aux fournisseurs traditionnels.
En tête de liste des produits importés figurent le poivre et le cumin qui concentrent 8.000 tonnes. Ils sont suivis par le gingembre (1.700), la cannelle (1.000), le curcuma (700), le fenugrec (500) et 1.100 tonnes d'épices diverses. Cependant, la production nationale qui porte sur 9.200 tonnes environ est constituée essentiellement du piment rouge (6.000 tonnes), des graines de coriandre (2.000) et du cumin (200). Tandis que les divers aromates totalisent 1.000 tonnes.
Ces chiffres montrent que cinq produits importés et deux d'origine locale représentent près de 85% de la consommation globale du Maroc.
Selon Driss Terrab, président de l'Association des conditionneurs des produits alimentaires (Acopa), affiliée à la Ficopam, deux périodes ont marqué l'évolution de la filière. Avant la fin des années 1990, celle-ci était relativement structurée aussi bien à l'importation qu'en ce qui concerne la production locale. La fabrication du piment qui prédomine à raison de 65% était assurée par 9 unités industrielles disposant de marques et d'une qualité reconnue mondialement. «On se souvient des marques comme L'étoile, Le minaret, Geralda, La rose, Le coq, Témara et bien d'autres», se remémore Terrab. Pas moins de 22 marques se partageaient le marché marocain du piment moulu durant les années 50 et jusqu'à la fin de la décennie 70. «Seule une unité industrielle vivote encore aujourd'hui face à la centaine d'ateliers “artisanaux” qui produisent dans des conditions qui n'ont rien à voir avec les règles d'hygiène les plus élémentaires», s'indigne Terrab. Au chapitre de l'importation, les produits bas de gamme prédominent. Le président de l'Acopa cite l'exemple du poivre dont le niveau de consommation ne descend pas en deçà de 4.000 tonnes/an alors que les statistiques officielles signalent un volume à l'importation de l'ordre de 500 tonnes annuellement. «D'où vient la différence?» s'interroge Driss Terrab. Tout simplement de la contrebande qui ignore par définition les spécifications physiques et chimiques du produit. «Au demeurant, constate-t-il amère, le contrôle officiel ne s'intéresse qu'aux marques identifiées». Or, qu'en est-il au juste? Les produits distribués sous forme conditionnée représentent à peine 5% du marché. Tout le reste est en vrac.
Quel contrôle subissent les 95% de la consommation quand la quantité conditionnée doit justifier sa qualité et la date de sa fabrication ? Dans le cas d'espèce, la vérification des spécifications techniques imposées par la loi n'est possible qu'en faisant recours à l'expertise du laboratoire. Car toutes les matières étrangères au produit doivent répondre à des taux de tolérance spécifiquement précisés.
Aussi, ne faut-il point s'étonner de voir des pratiques frauduleuses gagner l'ensemble d'épices et aromates moulus. Et que des produits bas de gamme y prédominent à l'importation, même formelle. Fini le temps où la cannelle du Sri- Lanka faisait la fierté du marchand d'épices du coin. Actuellement, on se contente de celle des Seychelles et du gingembre du Nigeria. La différenciation qualitative par marque et par produit d'origine n'est plus de mise. Dans un marché où le vrac règne quasiment en régulateur des prix. Pourtant, le manque à gagner pour le Trésor se chiffre à quelques centaines de millions de dirhams, rien qu'au titre de la TVA. Et à quelques milliers d'emplois en termes d'activités induites. Sans oublier les risques encourus pour la santé du consommateur.